- Ignacio Pérez Valero, avocat du Cabinet Garrigues et professeur de Master d’Entrée au Barreau du CEU d’Elche, donne son avis sur la réforme du Code de Procédure Pénale
Comment la prochaine réforme du Ministère Public en Espagne est-elle vue par un avocat ? Pour Ignacio Pérez, conseiller de la firme Garrigues à Alicante et Murcia, la réforme du Code de Procédure Pénale, rendra la Justice plus efficace. Lors de cet entretien, cet expert en procédures judiciaires pour délits économiques, aborde celle-ci et d’autres questions qui affectent le Ministère Public. Par exemple, avoir un véritable Procureur autonome pour organiser la forme et la manière de mener l’enquête criminelle, comme le réclament également les procureurs.
Ignacio Pérez Valero, professeur du Master d’Entrée au Barreau du CEU et avocat du Cabinet Garrigues
Le Conseil des Ministres a récemment approuvé deux projets de loi : les avant-projets de LO de Procédure Pénale et de LO du Ministère Public Européen. Le Ministre, Juan Carlos Campos, assurait que le premier texte supposait « une obligation politique, dans une période de transformation du pays ». Pourquoi cette future réforme est-elle si nécessaire ? À quoi fait référence, selon vous, ce processus de transformation de l’Espagne ?
Le monde juridique est conscient du fait que le législateur constitutionnel a une obligatoire envers le processus et la justice pénale. Aucune réforme intégrale du Code de Procédure Pénale n’a été abordée depuis l’entrée en vigueur de la Constitution de 78. Chose qui a été faite, en revanche, avec d’autres lois essentielles comme le Code Pénal ou le Code de Procédure Civile. N’oublions pas, à cet égard, que notre Code de Procédure Pénale, malgré le fait d’avoir subis des réformes partiales, date de 1882.
Sans aucun doute, le Code de Procédure Pénale, qui fut une bonne Loi, est dépassé sur de nombreux points de la réalité actuelle. Toute réforme de ce Code doit chercher une justice pénale plus efficace qui s’adapte, autant que possible, à une réalité changeante qui bouge très vite. Cela doit être obtenu sans perdre de vue le besoin d’approfondir l’amélioration du système de garanties de la personne faisant l’objet de l’enquête et accusée dans une procédure pénale. Toute réforme ne doit pas uniquement chercher l’efficacité, mais également l’approfondissement de la reconnaissance et de la garantie des droits du justiciable.
Avec cette réforme, sera également réformé le Statut Organique du Ministère Public, dans le but d’octroyer plus d’autonomie aux procureurs. L’Association des Procureurs, dans la lignée de cette réforme, réclame « protéger le Ministère Public des ingérences politiques et le doter d’autonomie budgétaire ». Croyez-vous que cela aura lieu ?
L’organe d’enquête, qui est le Procureur, doit nécessairement être impartial et indépendant. Et cela peut uniquement dériver de son rattachement exclusif à la Loi. La stricte obéissance à la Loi est ce qui dote l’organe d’enquête de l’indépendance nécessaire pour produire des actes d’enquête criminelle légaux, qui puissent servir de base pour l’accusation d’une personne. Toute réforme du Statut organique du Ministère Public doit être faite à la recherche de cet objectif.
La réforme du Ministère Public et la Police Judiciaire
L’avant-projet prévoit que les procureurs s’organisent en équipes autonomes avec un coordinateur et qu’ils puissent disposer d’unités policières et d’experts. Selon le brouillon, cela permettra de « restreindre » « l’intervention hiérarchique » des organes dirigeants du Parquet lorsque surviendront des divergences de critère au sein de chaque équipe. Pensez-vous que cette mesure puisse réduire le protagonisme de la Police Judiciaire ?
Il ne semble pas que la prétention de la réforme indiquée vise la perte de protagonisme de la Police Judiciaire mais plutôt la modification de la dépendance fonctionnelle de celle-ci, puisque qu’elle ne dépendra plus essentiellement du Juge d’Instruction, mais du Ministère Public. Si le Procureur est celui qui instruit une procédure et enquête, la Police, qui elle enquête sur les délits, devra dépendre du Parquet.
Ainsi, avec la réforme prévue, la Police Judiciaire devra transmettre le rapport au Procureur. Le Procureur sera l’organe qui, à partir de ce renvoi du rapport ayant valeur de dénonciation, prendra l’initiative de l’enquête et donnera les ordres nécessaires à la Police Judiciaire. Il dirigera le reste de l’enquête policière sur les faits. La réforme affirme que le Procureur sera un véritable « directeur juridique de l’enquête judiciaire » avec pour vocation de respecter les garanties légales de celle-ci.
Toutefois, la réforme ne souhaite pas une perte de protagonisme de la Police Judiciaire. La réforme ne prévoit pas, à caractère général, la dépendance organique de la Police Judiciaire du Parquet, celle-ci restera dépendante du Ministère de l’Intérieur ou de l’Administration correspondante, ni que la Police ne perde son autonomie et son initiative propre. La Police conservera sa capacité et son autonomie pour enquêter sur les faits des plaintes déposées avant de remettre le rapport au Parquet. Elle peut réaliser les démarches nécessaires pour établir les faits et tenter d’identifier le responsable, en ce qui concerne les premières démarches ou les démarches urgentes. Le fait que la Police Judiciaire doive remettre un rapport au Procureur ne veut pas dire qu’elle ne peut pas développer son activité préalable d’enquête.
Cette réforma va-t-elle réellement donner plus d’indépendance au Ministère Public par rapport au Pouvoir Exécutif ?
La réforme insiste sur le fait que le Procureur agira uniquement conformément à la Loi et avec une impartialité objective absolue. Comme le Procureur deviendra le protagoniste et maître de l’enquête sur les faits en coordination avec la Police Judiciaire, et qu’il le fait de manière exclusive, il peut uniquement agir strictement conformément à la Loi et de manière impartiale. De cela dépendra la propre validité et légalité des démarches d’enquête comme base du procès d’accusation que formulera le Procureur dans son Acte de Mise en Accusation.
Le rôle enquêteur du Ministère Public
Le Livre Blanc du Ministère Public avertissait, en 2013, qu’il était « nécessaire de mieux définir les contours réglementaires du travail d’enquête du Ministère Public ». Cela sera-t-il possible avec cette réforme prévue par le gouvernement ?
Bien sûr, la réforme souhaite un Procureur dont l’activité d’enquête soit décorée de notes d’autonomie organisationnelle. Aussi bien propre que de la Police Judiciaire, responsabilité et, essentiellement, légalité.
La Parquet, non seulement va avoir une autonomie organisationnelle, par exemple, pour diviser le travail entre les Procureurs en fonction de leurs spécialités, mais il va également avoir la faculté d’organiser la Police Judiciaire, puisqu’il devra émettre des directrices générales à celle-ci. Il pourra ainsi définir les objectifs de l’enquête policière et établir des modes et des manières d’action ou d’enquêter sur les délits. En définitive, la réforme souhaite un véritable Procureur autonome pour organiser la forme et la manière de mener l’enquête criminelle.
Mais, et en accord avec ce qui précède, si le Procureur est autonome, il sera également responsable du résultat de l’enquête. Surtout, dans le sens de la légalité de celle-ci. Avant l’ouverture de la Procédure Oral, son travail devra passer au travers du tamis juridique de deux Juges différents et externes à l’activité d’enquête : le Juge des Garanties qui est celui qui veillera à ce que l’activité d’enquête ne viole pas de droits fondamentaux, et le Juge de l’Audience Préliminaire qui dira si le matériel d’enquête recueilli par le Procureur peut servir de base pour retenir des charges pénales contre une personne. Une enquête du Parquet peu scrupuleuse ou qui viole des droits ou garanties de la personne objet de l’enquête pourra être rejetée par le Juge.
Que pensez-vous du fait que la future attribution de l’instruction de la cause revienne en exclusivité au Ministère Public, revenant à un juge de garanties la protection des droits et des libertés du suspect ? Comment cela va-t-il affecter les différents processus ?
La réforme, en effet, vise à ce que ce soit le Procureur qui prenne les décisions durant une première phase d’enquête des faits qui ne devrait pas durer plus d’un an. Et qui décide dans quel sens évolue la cause et des démarches à effectuer. Le Juge, en tant que Juge des Garanties, veille à ce que, durant l’enquête, ne soient violé les droits de la personne objet de celle-ci.
La réussite ou non du système ne peut être évaluée maintenant. Elle va dépendre de comment fonctionne dans la pratique le contrôle judiciaire réalisé par le Juge des Garanties, en évitant l’infraction que, du droit de défense, peut supposer l’activité d’enquête (s’il y a lieu), et par le Juge de l’Audience Préliminaire, responsable de contrôler la légalité et la capacité accusatrice du matériel de l’enquête.
À priori, le système du Procureur enquêteur ne peut être compris ni comme bon ni comme mauvais. Cela dépendra de l’efficacité et de la solvabilité avec laquelle fonctionne le système de limites de cette activité. Dans tous les cas, il faut tenir compte du fait que le modèle de Procureur enquêteur est celui généralement implanté dans les pays qui nous entourent et par rapport auxquels, au jour d’aujourd’hui, nous sommes une anomalie.
L’autonomie dans la réforme du Ministère Public
Certains juristes assurent qu’il est difficile d’imaginer « un Ministère Public qui fonctionne sans unité d’action et dépendance hiérarchique. Ils avertissent qu’il n’est pas possible de « concevoir que le futur procureur enquêteur jouisse de l’indépendance d’un juge ». Êtes-vous d’accord ?
La réforme tente d’éviter les doutes concernant l’impartialité du Ministère Public. Pour cela, elle déclare, expressément, que le Ministère Public est lié à la défense de la Loi et de la propre impartialité en toute objectivité. Avec cela, est renforcée la prévalence du principe de légalité face à la dépendance hiérarchique.
Que pensez-vous du fait que des ex ministres de la Justice, malgré le fait de soutenir la réforme du Code de Procédure Pénale, demandent maintenant que l’élection du Procureur Général ne revienne pas au Gouvernement ?
Le rôle que notre système a réservé au Procureur Général de l’État est d’une importance indiscutable. Sans aucun doute, ce n’est pas la meilleure des choses que soit traditionnellement questionnée sa légitimité d’origine en raison de comment est prévue son élection. Il est vrai que, dans la plupart des cas, les différentes personnes qui ont accédé au poste ont réussi à surmonter l’inévitable controverse initiale avec la légitimité obtenue au travers de l’exercice. Mais ce serait une bonne nouvelle de convenir d’une formule par laquelle la nomination du Procureur Général de l’État se fasse hors de la lutte entre les partis.